Dr Bakary Keba NDIAYE : La fête d’Al Ghadir, mythe ou réalité ?

Al Ghadir est un événement correspondant à une fête célébrée par les musulmans (essentiellement par les chiites) et qui marque l’accomplissement de la religion musulmane. L’événement est d’un enjeu majeur dans la mesure où il reste intrinsèque à l’imamat ou le califat, un sujet qui a fait et continue de faire couler beaucoup d’encre. Dès lors, notre intervention va essayer de poser ce débat, avec toute la délicatesse qu’il faut, dans un contexte le plus neutre et le plus heuristique possible, appuyant les arguments par des preuves coraniques et essentiellement sunnites. Ces arguments sont autour de trois questions : L’imamat (ou le califat) est-il une obligation islamique ? L’imamat (ou le califat) est-il une affaire d’élection ou de nomination divine ? Dieu a-t-il fait son choix ?

 

L’imamat (ou le califat) est-il une obligation islamique ?

L’unanimité est formée sur le fait que tous les prophètes ont leurs successeurs respectifs. La grande question est de savoir si cette règle s’applique au dernier des prophètes, Muhammad Ibn Abdallah (ç). Tout musulman répondrait par l’affirmative : Oui l’islam, du moins dans les premières heures qui ont suivi la disparition du saint prophète ç, avait bien besoin d’un guide qui continuerait la mission prophétique. C’est dans ce sens que nous pouvons comprendre les propos d’Ibn Taymiya, un des plus grands savants sunnites qui affirme que « L’imamat (ou le califat) se situe parmi les obligations de la religion et celle-ci ne peut par conséquent pas faire route sans elle. » (Siyassiyat Sharkiyat, p165).

La succession est donc une obligation religieuse. Cependant, qui doit choisir les successeurs ?

 

L’imamat (ou le califat) est-il une affaire d’élection ou de nomination divine ?

Pour ne pas nous perdre dans la littérature partisane qui reste malheureusement très prolifique dans ce sens, nous nous baserons uniquement sur les arguments du Coran et de la sunna afin d’apporter une réponse à cette question.

La succession des prophètes est une affaire exclusivement divine selon le Coran :  « Certes nous t’avons choisi (Abraham) comme Imam (guide) pour les gens. » (2 :124).

Dans le même sens, un récit avancé par Ibn Hisham dans Siratoul Nabawiyat (2/33) et que l’on trouve également dans Tariq Damashq, dans Kamil fil Tariq d’Ibn Açir, Al Bidayat wanihayat d’Ibn Kathir explique que les arabes avaient proposé à Muhammad (ç) de leur promettre le gouvernement islamique après la mort de ce dernier (ç) en contrepartie de leur conversion. La réponse du saint prophète (ç) fut : « Cette affaire revient à Dieu et il choisira qui il voudra. » Par conséquent, l’argument selon lequel le prophète n’aurait choisi personne et aurait voulu que les musulmans se concertent à ce sujet est à revoir.

A la lumière des derniers paragraphes, il est évident que le choix des prophètes et de leurs successeurs est le fruit d’une décision divine. Pour terminer, nous allons aborder le vif du sujet pour voir si le choix du successeur de Muhammad ç, dernier et meilleur des prophètes s’est accompli et ce, sur qui  et dans quelles circonstances ?

 

Dieu a-t-il fait son choix ?

Pour finir, nous allons combiner des arguments coraniques et des hadiths. Ainsi, le verset 67 de la sourate 5, Mayda ou la Table servie (« Oh Messager, transmets le message qui t’a été révélé de ton seigneur… ») nous sera d’une grande utilité dans le sens où son commentaire (tafsir) permet de comprendre ce message à transmettre ainsi que le lieu et la date de sa révélation. Par ricochet, il répondra à la question posée dans cette rubrique à savoir si Dieu a fait son choix de successeur du dernier prophète Muhammad (ç).

Ainsi, Jalaloul Dine Assouyouti affirme que ce verset a été révélé à Ghadir Khom pour annoncer le khilafat de Ali. (Douroul Mansour 3/636). Il est loin d’être isolé quand on sait que certains savants mentionnent la même chose. Effectivement, Fakhroul Razi dans son Tafsir Kabir (12/50) affirme que « ce verset fut révélé le 18 du mois de Zoul Hijja (Tabaski) pour l’annonce officielle du califat de Ali ».

Après la révélation de ce verset, le prophète  ç rassembla les musulmans pour faire un serment dont les phrases maitresses qui nous ciblent particulièrement sont : « Pour quiconque je suis le maitre, Ali est désormais son maitre. Dieu soutient celui qui le soutient et combat celui qui le combat ! » Plus de 60 chaines de transmission affirment que les compagnons firent la queue pour prêter allégeance à Ali après l’annonce.

Entre 40 et 120.000 compagnons étaient présents (Siratoul Zeini 3/308) et avaient reçu l’ordre prophétique de vulgariser cette information capitale qui est la cause du verset de l’accomplissement de la religion (sourate 5, verset 3) : « J’ai parachevé pour vous aujourd’hui votre religion et accompli sur vous mon bienfait et j’agrée pour vous l’islam comme religion. ».

Cette information est confirmée dans le Tariq Yacoubi (2/35), Tariq Bagdadi (7/290), Al Douroul Mançour (2/259).

 

 Pour conclure…

L’événement d’Al Ghadir est une fête à double connotations car il annonce l’imamat de Ali et l’accomplissement de la religion. Puisque l’un ne saurait aller sans l’autre, les chiites restent les seuls à célébrer cette fête car étant la branche de l’islam qui prend Ali comme le successeur direct et légitime de Muhammad (ç) dont il continue la mission  sans pour autant être un prophète mais le premier des 12 imams successeurs annoncés par Muhammad de son vivant (Al KANDUZI dans Yanabee Al Mawada volume3, p399, Al HAMAWAYNI dans Fara’id Al Simtayn, Volume 2 p 132).

Nous sommes conscients des divergences argumentaires autour du débat sur la succession de Muhammad et disposons des arguments pour nous prononcer. Cependant cela nous éloignerait du but de ce document qui est loin de soulever un débat confessionnel stérile aboutissant à des querelles idéologiques intestines à l’islam et qui ne font que nuire cette Noble Religion. En effet, l’objectif scientifique visé est la connaissance et la vulgarisation cet événement permettant de faire revivre un pan important de la mémoire collective de l’histoire islamique et des musulmans. Sur le plan religieux, il s’agit de montrer que cette fête n’est pas à l’origine chiite, et que tout musulman gagnerait sans doute à la célébrer pour perpétuer une tradition prophétique (la sunnah), même s’il ne le fait pas pour l’annonce de l’imamat de Ali, mais pour l’accomplissement de la religion céleste, préparée depuis l’aube des temps.

 

NDIAYE BK, professeur d’Histoire-Géographie, Chercheur en Géographie et en Sciences des religions, Secrétaire général adjoint de l’AEEPABS.

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